L’Orchidée, Danse et Musique Vivantes - Quelques textes
L’Orchidée, Danse et Musique Vivantes - Quelques textes
Paysages improbables (projet 2009)
30 novembre 2008
Présentation du projet réalisé par L’Orchidée, Danse et Musique Vivantes en 2009
“Paysages Improbables...”
“Figure(s) de la Montagne...1”,
“Figure(s) de la Montagne... 2”,
“D’un Jardin aux neuf parcelles”,
Diptyque : “Le Point d’Eau et le Voyageur”
“D’après “Au Puits de l’Epervier””
Le projet artistique de L’Orchidée pour 2009 s’intitule “Paysages Improbables...”.
Il se place dans le prolongement des projets précédents: “Comme une peinture de sables des saisons...” (2006-2007) et “Au fil des saisons: J.S.Bach...” (2008).
Il se déploie en cinq propositions distinctes.
Plusieurs axes de réflexions et de pensées s’entre-tissent dans l’énoncé de ces cinq propositions distinctes et pourtant subtilement reliées et complémentaires.
L’un de ces axes est la dialectique (de l’) erème (et de l’) écoumène, telle que l’a dégagée Augustin Berque (1945 ...), géographe orientaliste, dans son livre “Le sauvage et l’artifice” (Paris, Gallimard 1986)
L’erème ( du grec erêmos) est l’espace disons “sauvage”, et l’écoumène (du grec oikoumenê-gê: la terre habitée par l’être-humain) est l’espace disons “habité” (en sachant qu’aujourd’hui, on peut considérer que l’écoumène c’est la Terre entière puisque l’influence de la présence humaine a fini par recouvrir l’ensemble de la surface terrestre). Augustin Berque définit précisément l’écoumène comme la relation de l’humanité à l’étendue terrestre.
Qu’est-ce qui préside à l’une et à l’autre de ces deux “dimensions”, de ces deux “ moments”, de ces deux “espaces”, symboliques s’il en est, que sont “erème” et “écoumène”? Et comment ces deux espaces sont-ils reliés l’un à l’autre, en quelle(s) articulation(s)?...
Les éléments de réponse que je suis susceptible d’apporter à ces questionnements, je les puis apporter en tant qu’artiste-danseur, c’est-à-dire sur le plan d’une compréhension des modalités qu’il m’est possible de mettre en oeuvre pour structurer des situations “scéniquement” envisagées pour ouvrir à l’expérience (à offrir en partage avec les spectateurs réunis là en tant que “public”) de ce que l’on peut qualifier comme l’expérience vive de l’être-en-danse... Ces éléments de réponse sont le fruit d’une pensée méditante qui s’efforce de dégager les bases d’une ré-interprétation de ce monde dans lequel nous vivons, monde passablement désenchanté par le fait de cet héritage civilisationnel que l’on appelle la modernité, mais qu’il nous faut bien parvenir à ré-enchanter un tant soi peu, pour parvenir à nous le rendre vivable, à nous, êtres humains sur la Terre.
Il serait sans doute trop long de détailler ici par quels chemins cette problématique a structuré peu à peu, au fil des années, mon itinéraire de travail et d’expérimentation vivante de la danse, au gré des situations multiples qui ont jalonnées mon parcours de danseur. Qu’il me suffise de dire que le chemin de pensée développé par Augustin Berque a constitué pour moi un précieux fil rouge, fondateur, à bien des points, d’une compréhension fructueuse une fois transposée dans ma propre pratique...Pour cerner un peu les enjeux d’un tel parcours, je me permets de renvoyer à l’introduction de Augustin Berque à la ré-édition de son livre initialement intitulé “Vivre l’espace au Japon” (1982), et réédité en 2005 sous le titre “Le sens de l’espace au Japon- vivre, penser, bâtir” ( photocopie en annexe).
“ Paysages Improbables...”
Si c’est de paysages improbables dont il est question dans l’énoncé du titre de ce projet, c’est qu’il ne s’agit pas, dans l’annonce de ces paysages, de paysages visibles objectivables. D’ailleurs, la notion même de paysage s’accommode assez mal de l’objectivable. Un paysage vivant est un paysage éprouvé donc suscitant un “sentiment”; et quoi de moins objectivable qu’un sentiment. Le sentiment relève intimement du senti, du ressenti, et donc de l’expérience et de l’interprétation intime du sujet, expérience par là-même foncièrement subjective.
S’il s’agit donc de paysages “subjectifs” dans le sens de leur caractère “non-objectivable” et qui plus est de paysages in-visibles car non-issus de la perception d’une portion d’espace naturel existant, mais fruits de la projection “imaginale” d’artistes en situation scénique, et de par le fait que ces artistes, en tant que danseurs, ne s’intéressent pas fondamentalement à inscrire des traces visuellement persistantes mais se consacrent plutôt à exprimer, dans leur fulgurance, le jaillissement , profus ou épuré de tracés habités vivants, immédiats et donc éphémères, l’on peut comprendre pourquoi ces paysages sont qualifiés ici d’ improbables.
Au sein des cinq propositions distinctes qui constituent ces “Paysages Improbables” s’entrecroisent les thématiques de l’individuel et du collectif, de l’espace sauvage et de l’espace habité (et également, de façon sous-jacente, celle de l’espace construit...);
S’y trouve également pour les deux volets du Diptyque, quelque chose comme un ré-agencement contemporain et ouvert des éléments constitutifs de base du Théatre Nô (Japon), à savoir : la danse, le chant, la musique, et la trame d’un texte littéraire.
Les “outils” que constituent le “système fractal” du Yi-Jing, le classique des transformations (ou le Livre des changements, ou des mutations, Livre-système qui a accompagné le déploiement de la Pensée et donc de la Civilisation chinoise sur près de 3000 ans) avec ses 64 “hexagrammes” (Figures obtenues par l’empilement sur 6 niveaux de traits continus et/ou discontinus symbolisant les interrelations complexes de l’Unité-influx mobilisateur du Ciel-Yang et de la Dualité-influx maturateur-matérialisateur de la Terre -Yin) participent également d’une approche et d’une expérimentation qui entendent approfondir l’étude de modalités qui permettent l’articulation libre et vivante de pratiques singulières fermement individuellement assumées, mais procédant de la “co-construction” d’une réalité vivante évolutive en actes.
Par ailleurs, “Paysages Improbables...” est l’occasion de ré-interroger la relation à certaines oeuvres de musique contemporaines, du point de vue d’une relation de la danse à ces oeuvres ou à ce type d’oeuvre qui me semble se trouver être considérablement infléchie par l’usage de ces nouveaux outils sémantiques qui se sont dégagés ces deux dernières années du travail mené sur les Saisons en lien aux outils d’interprétation dont use la Tradition chinoise pour décrypter les transformations incessantes dues à l’entrecroisement des influx considérés comme étant ceux du Ciel (L’unité, l’impulsion-animation, Yang) et de la Terre (La dualité, l’accomplissement-matérialisation, Yin).
Ce travail d’étude et d’exploration en relation à la Tradition chinoise nous a conduit à expérimenter très concrètement l’efficience de l’usage de certaines propositions et agencements de sens appliqués à l’élaboration et à la mise en oeuvre d’une prestation dansée, que cela s’applique à l’être-en-situation d’un seul ou de plusieurs danseurs, consécutivement ou simultanément. Après avoir confronté en 2007 et 2008 ces outils à un contexte musical déterminé pour partie par l’interprétation vivante d’oeuvres solistes de Jean Sébastien Bach pour violon baroque, violoncelle baroque, flûte traversière, guitare, le retour à un répertoire contemporain a imposé son évidence. D’autant que les thématiques qui entre-tisseront la réalisation du projet s’accommodent parfaitement du choix des oeuvres retenues (pour le détail des oeuvres, se reporter ci-après à la feuille de synthèse).
“Figure(s) de la Montagne...(1 et 2)” constituent le premier terme (en deux propositions) d’une dialectique essentielle dans tout le monde Extrême-Oriental, mais que l’on peut tout à fait transposer “ici” pour nous aider à clarifier certaines pistes de questionnement. Cette dialectique est, telle que l’a nommée Augustin Berque, celle de l’erème et de l’écoumène (voir ci-dessus). Ces deux schèmes peuvent de fait renvoyer à tout un système d’oppositions constructives et fondatrices, structurantes pour notre être au monde. A l’espace “naturel”, sauvage, inhabité-inhabitable par l’être-humain, de l’erème, s’oppose l’écoumène, espace construit, habité et cultivé... D’où le deuxième terme (et troisième proposition) de déploiement de notre projet: “D’un Jardin aux neuf parcelles”.
“ D’un Jardin aux neuf parcelles”. Neuf parcelles disposées en carré soit l’un des agencements structurants dont use la Tradition chinoise tant pour ordonner le cycle des saisons en huit moments saisonniers( le carré central servant de pivot-transition) ou en douze périodes par année. Le cycle ordonné, donc, du temps cosmique, mais que l’on peut aussi lire comme celui du temps tel qu’il rythme en son écoulement, les différents moments de l’existence humaine. Cycle saisonnier de l’écoulement du temps, donc, que ce soit celui de l’Année ou celui d’une vie d’homme: Printemps, Eté, Automne, Hiver...et recommencement-renouveau, nouveau cycle...
La musique qui composera la trame temporelle de cette proposition relève d’un travail de composition musicale vivante qui sera réalisé avec Grégory Daltin(accordéon de concert) et Masako Ishimura (aux 4 flûtes traversières: en ut, en sol, basse et piccolo).
La quatrième proposition de notre projet procède lui d’un ré-agencement radical de certains outils choisis empruntés à la Tradition chinoise, en un dispositif complexe synthétisant la convergence de nombreuses pistes de travail et de préoccupation dans lesquelles nous sommes engagés et que nous explorons depuis quelques années . En effet, Diptyque :“Le Point d’Eau et le Voyageur” - “ D’après “Au Puits de l’Epervier” est une proposition qui, sur l’un des deux volets du diptyque va associer les artistes professionnels avec deux artistes non-professionnels au sein d’une proposition évoquant les deux thématiques précédemment citées,et ce, en utilisant d’autres déclinaisons des outils “hexagrammatiques” chinois précédemment évoqués. L’aspect musical de ce diptyque entre-tissera
-l’aspect vocal porté par deux danseuses-voix et un danseur-souffle,
-un aspect musical porté par trois des musicien(ne)s instrumentistes engagés sur les propositions précédemment citées,
-un aspect textuel porté par une lectrice-comédienne qui distillera la musicalité d’un texte poétique de William Butler Yeats(1865-1939), en sa totalité pour l’un des volets du diptyque, et juste de certains fragments choisis, dans l’autre volet .
La cinquième proposition du projet qui était envisagée et qui devait être présentée à l’automne 2009 s’intitulait “Figure(s) de la Montagne / Figure(s) de la Rizière”, elle devait être un peu le précipité synthétique des quatre propositions qui l’avaient précédées. La trame musicale devait être composée d’oeuvres contemporaines pour la harpe interprétées par Fabienne Hilar, pour la flûte traversière traversière interprétées par Masako Ishimura, et de l’interprétation de certaines séquences musicales par Grégory Daltin jouant l’accordéon de concert. Ce spectacle n’a pas pu être monté, ni présenté, en conséquence de l’insuffisance des financements obtenus en 2009.
Bibliographie sélective:
Augustin Berque:
- Le sauvage et l’artifice, 1985
- Médiance - de milieux en paysages, 1990
- Les raisons du paysage,1995
- Ecoumène-introduction à l’étude des milieux humains, 2000
- Le sens de l’espace au Japon - vivre, penser, bâtir, 2005(1982)
- Mouvance II soixante-dix mots(dont dix proposés par Augustin Berque)pour le paysage, 2006
- La pensée paysagère, 2008
Sur la pensée chinoise, la liste étant trop longue, je ne citerai que:
Cyrille Javary: Yi Jing, 2002, et, Le discours de la tortue, 2003,
Michel Vinogradoff: Yi Jing, 1996, et, L’esprit de l’aiguille, 2007,
Jacques Gernet: La raison des choses-sur la philosophie de Wang Fuzhi(1619-1692),2007
Yolaine Escande: L’art de la Chine traditionnelle, 2000
Yolaine Escande et Philippe Sers: Résonance intérieure. Dialogue sur l’expérience artistique et sur l’expérience spirituelle en Chine et en Occident, 2003
Yolaine Escande: Montagnes et eaux - La culture du shanshui, 2005
Pour L’Orchidée, Danse et Musique Vivantes,
Roland Paulin, Novembre 2008.
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